Ce matin, j'ai eu quinze ans. Ici, nous n'avons pas de cadeaux, ni de fête. Si un de nos camarades nous souhaite un bon anniversaire, on peut s'estimer chanceuse. C'est un jour comme un autre, pourtant. Nous travaillons toujours plus et nous mangeons toujours moins. La crise de la fermeture du bloc n°97 n'est pas passée. Rose n'arrête pas de faire des crises d'hypoglycémie. Nous, on la calme comme on peut, parce qu'ici il n'y a pas d'infirmières. Seuls les cours n'ont pas changés. On nous apprend toujours les mathématiques, la lecture, l'écriture et l'histoire. Enfin, l'histoire : notre unique professeur assure à quel point les le vingt-et-unième siècle et le vingt-deuxième siècle avaient été horribles, qu'il y avait des inégalités partout, que les gens étaient si différents qu'ils ne s'entendaient jamais, qu'il y avait des pauvres et des riches et qu'on exerçait des activités et métiers absolument inutiles. Alors que dans cette société, chacun est semblable à son voisin et ne fait que ce qui est utile à l'Etat. Tout le monde a droit à de la nourriture et à un logement. Quand j'y pense, je me dis que l'ancienne société est aussi terrible que celle-ci, mais sous des points de vue différents. Mais quand le gouvernement nous assure un monde juste, et que je sais à quel point il ne l'est pas, je me dis que l'Etat peut bien nous faire gober des mensonges sur notre passé sans que l'on ne s'en rende compte. Notre professeur ne fait que comparer deux mondes en critiquant l'un et ventant l'autre. Et n'importe qui est peut faire ça. Et si on nous cachait des choses sur notre passé ? Quand j'y pense, nous ne savons également rien sur notre présent. Jamais un professeur ne nous a dit ce qu'il pouvait se passer à l'extérieur de notre ville. Nous vivons à Paris, en France. Y-a-t-il seulement d'autres villes, d'autres pays ? On t-il un gouvernement différent ? Et si nous nous basions sur le fait que tout était pareil ailleurs uniquement parce que c'était ce que le gouvernement voulait ?